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Un peu de lecture... pour le mois sans HORECA (et avec couvre-feu, etc.) - Le tango


Texte de fiction écrit début 2019. Inédit.

Et tout à coup, alors que je me suis approchée de la table pour boire une gorgée de vin, il est là, à côté de moi.

J’ai déjà un partenaire de danse pour l’initiation au tango, mais il en a un peu marre et moi aussi. J’ai envie de me déhancher sur la piste au son des succès des années ’90, ceux de mes études, ceux de quand je sortais encore tous les soirs, où je buvais sans me soucier du peu de sommeil avant le début des cours.

Mais l’initiation n’est pas terminée et blasée, assoiffée, je prends un temps.

La magnifique prof de tango est en train de montrer un enchaînement plus élaboré.

J’ai le dos tourné, j’entends: « On le tente? »

Je faillis avaler de travers. Mon souffle coupé. Bien sûr que je sais que c’est lui. Depuis toute la journée de « team building » (beurk) qui se termine par cette fête dansante, je sais à chaque instant où il se trouve. Puisqu’il est un de mes fantasmes depuis quelques années. Un peu plus jeune que moi, ce charme fou de l’intelligence, de l’ironie, de la provocation.

Intellectuellement proche, physiquement à plusieurs galaxies de mon corps.

Jusqu’à ce: « On le tente ? »

Me voilà la main sur son épaule, la sienne sur mon omoplate, son souffle tout près. Et malgré l’accélération insensée de mon rythme cardiaque, ça fonctionne plutôt pas mal.

Le temps de recommencer à respirer normalement et je me rends compte qu’il me regarde, intensément, avec son petit sourire en coin.

J’évite son regard, histoire que mes jambes ne me lâchent pas tout de suite.

Ce truc un peu gamin, une simple histoire de connaissance professionnelle charmante qui m’émoustille, cette occasion finalement de le toucher et d’être touchée, pour me faire mousser se précipite à toute vitesse vers une possibilité vertigineuse.

Je me raisonne, je me dis que je suis une grande fille et je me branche à ses yeux. Je m’accroche à mon propre sourire en coin, à un peu d’humour, à une fragilité feinte pour masquer mes erreurs de pas: je vais tenir le coup, rester totalement digne.

Ben, c’est difficile. Mon estomac se contracte dangereusement, ma tête tourne, j’ai quand même bu pas mal (et lui aussi sans doute).

Ca se complique, le couple d’enseignants ajoute un enchaînement, un pas de base du tango langoureux, fait par la fille, pendant que l’homme attend.

Je ne bouge pas, on pourrait encore changer de partenaire.

« On continue? »

Tu parles qu’on continue, tu vas pas me laisser comme ça, maintenant.

J’essaie, c’est pas ça, la prof me le ravit pour me montrer, je le récupère, ça marche. On recommence, encore et encore. Il a d’abord l’air très content de cette issue, mais il n’arrête pas. Il me tient plus serrée, peut-être un peu plus près, je ne saurais dire. Je plane complètement. Il me regarde de plus en plus fort, peut-être plus flou aussi, sa respiration change, puis il murmure comme pour lui même…

« En fait c’est vachement sensuel, cette histoire... »

C’est comme s’il se retenait, mais de quoi? Il joue, je le sens, il n’est pas dupe de mon air assuré. Il reste élégant, correct, mais la charge qui se dégage dans les quelques centimètres entre nous est proche de celle d’un taser.

Il doit sentir mes tremblements internes, mon désir qui galope.

Je dédramatise avec un sourire moitié entendu, moitié gêné.

Il m’entraîne plus loin.

Mon humour cassant: « On part dans un coin de la salle, là! »

« Ah, c’est sensuel, mais ça doit donc rester en public… »

J’ai bien entendu? J’aurais voulu enregistrer ses phrases soufflées pour me les repasser en boucles des années durant.

Je suis complètement dépassée par ce qui se déchaîne dans mon ventre. Probablement je ne dis rien.

Je parle d’autre chose:

« C’est deux fois, que je dois le faire ce glissement? »

« Pour moi tu peux le faire autant de fois que tu veux. A l’infini… »

Je rêve ou sa main est descendue à ma taille? Je rêve, oui, je ne sais plus, je mélange avec les milliers de fois où j’ai réinventé le scénario.

Je ne rêve pas: il touche mon foulard, il suit sa courbe jusqu’au pendentif qui se loge dans le creux de mes seins. Le symbole de l’infini. Haute tension, je frôle le court-circuit.

Il n’y a plus beaucoup de doute: il me drague avec de moins en moins d’équivoque possible. Je lui plais? Il m’a regardée aujourd’hui? Auparavant?

On poursuit encore un temps, je ne sais plus ce que je fais, je suis abandonnée à l’instant, perdue, inconsciente. La musique s’arrête, l’initiation est terminée, ses mains glissent loin de mon dos, de ma paume, il s’incline, me remercie « Tu as été ma meilleure partenaire ».

« Merci… »

Je m’éloigne, je cours loin de lui, j’ai peur qu’il me touche encore.

Parce qu’alors, malgré toutes les personnes présentes je ne pourrais plus rien retenir du torrent qui gronde en moi.

Je pars de salle en salle, quand il y entre. Il me regarde de loin, je le regarde aussi, il a l’air triste, ou déçu, ou frustré ou amusé: comment savoir, dans la pénombre?

Je suis dans le couloir, il s’en va, il passe à côté de moi, me dit merci, je feule: « Merci à toi », on se regarde en biais. Je pourrais toucher sa main, une dernière fois, mais non.

J’ai peur tout à coup, je me sens bête.

Je ne fais rien, la soirée reprend, je m’amuse encore deux heures, je dragouillle sans conviction et sans envie, je m’amuse, j’aime mes collègues (j’ai par ailleurs assez bu de vin rouge que pour aimer un nombre considérable de gens, ce soir), j’ai aimé cette journée vraiment spéciale, mais c’est autre chose.

Ce tango impossible. Ou « un-possible ».

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