top of page

POST RÉCENTS : 

ME SUIVRE : 

  • Facebook Clean Grey
  • Twitter - Grey Circle

Un peu de... Chroniques en temps de Covid (7)



22 Février 2021


Jeudi, au réveil, je n’allais pas bien.

Ce rendez-vous annuel m’angoissait depuis la veille.


Un peu de tension du quotidien, ma grande fille qui se met à râler et c’est parti en grosse dispute dès le matin.

Je me suis presque liquéfiée, je me suis demandée si j’étais capable de travailler, ce jour là, comment imaginer me rendre disponible à la parole d’un autre alors que je me sens absente à moi-même?


Et, comme chaque année, je me demande pourquoi je joue à WonderWoman et je n’anticipe pas. Je rajoute le rendez-vous à mon agenda, comme une formalité, coincé entre deux trucs.


Pourquoi n’ai-je pas le réflexe de m’accorder un peu de répit, juste de temps en temps? Pourquoi je joue à la comédie du « ce n’est rien, juste un mauvais moment à passer, vite fait et puis tranquille »? Pourquoi je ne veux pas y prêter de l’importance?

Pourquoi j’oublie ce que je traverse à chaque fois avant et après? En plus de ce que j’y vis, pendant.


Je compose un numéro, le coup de téléphone salvateur qui me calme et me donne une boussole.

Je suis en retard.

Je décide que je vais au moins ne pas m’embêter avec ça: allez, je vais travailler, mais en U.

Je fais mes séances. J’oublie. Décidément, ce travail me fait du bien.

Dès la dernière personne partie, je flanche à nouveau.

Dans ces moments là, il n’y a pas d’après, il y a juste un abîme qui va m’avaler.

Je ne parviens pas à imaginer une bonne nouvelle, à y croire, à penser à la soirée qui suivra et qui sera certainement bonne.


Je traîne, de nouveau, j’avais tout le temps pour arriver à l’heure au centre médical, mais voilà, je n’ai pas le courage de prendre le risque, alors re-U.


J’arrive. J’ai écrit trois messages en chemin, je les ai tous effacés. Pourvu qu’ils n’aient pas été lus.

Je fume. Je monte.

Trucs habituels: remplir l’affreux questionnaire, celui des opérations, des raisons, des maladies, des décès, des douleurs.

On me tend le QR code pour avoir accès à mon imagerie médicale. On sait stocker ça sur un cloud, mais pas retenir que j’ai fait une fausse couche, que ma mère a subi une mastectomie, qu’elle est morte du cancer, que je me suis fait charcuter une petite dizaine de fois sur la table d’opération. Ca il faut le leur rappeler, noir sur blanc, au stylo, chaque année.


Dans la salle d’attente j’écris un quatrième et dernier message, je ne l’efface pas, je bascule sur silencieux.


Je ne rentre pas dans les détails de l’examen, mais je pourrais écrire cinq pages, cinq pages de mots maladroits et de petites souffrances. Je ne le ferai pas, parce que le personnel est charmant, parce que je suis profondément reconnaissante à ma spécialiste, qui non seulement est une grande gynécologue, mais aussi une femme humaine, qui sait parler d’elle, qui pose des vraies questions, qui répond sincèrement, qui tient la main pour annoncer de mauvaises nouvelles, qui appelle pour rassurer. J’ai l’impression qu’elle a de l’affection pour moi, quand elle me voit, même si nous ne nous connaissons pas. Je retiens ça.


J’essaie. De ne pas me sentir trop morcelée par les machines, trop attaquée par les termes: « petits », « denses », « constitution », « c’est vous », kystes, kystes, kystes », « beaucoup de kystes », « trop de kystes », « plein de kystes pour une si petite taille », « nodules », « à surveiller », « dans un an ».

Je parviens à ressentir un peu de soulagement, j’ai eu mal, mais ça va aller pour cette fois.

Par contre, mes lèvres se scellent. Je ne parle pas. Je rentre, je ne mange pas, je me couche, je dors trois heures. Je me sens fâchée.


Je me lève et il pleut. Alors je décide, pour la troisième fois, de prendre un U. aujourd’hui, pour me rendre chez une copine. Encore, à l’intérieur de la voiture, j’ai l’impression que je vais pleurer.


Me voilà enfin, chez elle et dès son sourire à la porte d’entrée je suis ailleurs, la discussion démarre au quart de tour, nous parlons nous parlons et nous ne nous connaissons pas depuis longtemps et pourtant, il y a quelque chose d’une rencontre qui s’est faite entre nous.

Alors je mange, oui, je papote encore, je me sens bien.


Deux jours après je me retrouve devant mon écran, pour la troisième séance de l’atelier écriture: « Coupables de laideur ». Aujourd’hui on parle du… « Corps morcelé ».

Wow. Je ne l’ai pas vu venir et pourtant, c’était évident.

Je sens tous les mots coincés à l’intérieur de moi qui s’agitent: il y en a de trop.

Canalisée par les consignes, j’écris, enfin. Je ne sais pas si c’est « bon » ce que je ponds, peut-être que les événements biaisent trop ma pensée et je ne parviens pas à m’en détacher.

L’atelier file, avec un texte laissé en suspens, à partager la prochaine fois. Je lâche prise, j’écris ce qui vient, j’accepte d’être à côté de quelque chose. Je vais y retravailler, je crois.


Et après, après ce texte-ci est là et il faut m’en débarrasser pour le taper avec des touches et le mettre hors de moi, pour pouvoir le relire et me dire que c’est quelque chose qui m’est arrivé, que j’ai vécu, mais que ça ne me hante pas, ça ne me déconstruit pas, que je peux mettre un peu plus loin de moi pour me le re-approprier différemment.

L’écriture et le corps, lien mystérieux, dont les déclinaisons me sauvent à chaque fois.

Posts similaires

Voir tout
RSS Feed
bottom of page