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Un peu de... fiction: Seule en Bretagne

  • Chicca Cocca
  • 1 juin 2013
  • 5 min de lecture

Depuis une semaine, je viens tous les jours me balader ici, au bord de la mer bretonne, près de ce phare. Je suis en vacances… seule. En réalité, je suis venue me soigner, soigner mon cœur meurtri. Jean m’a quittée il y a deux mois. Lui aussi. Nous devions nous rendre en Crète ensemble cet été. Il y a été sans moi. Je voulais quand-même partir un peu, je voulais réfléchir. A ce qu’est ma vie, ma vie sans amour ou ma vie avec trop d’amour. Je tombe amoureuse tout le temps. Je suis incapable de ne pas être amoureuse de quelqu’un. Si je ne suis pas amoureuse, ma vie est vide, elle n’a pas de sens. Je ne sais pas comment remplir mes journées et ma tête et mon cœur. Quand on me quitte, quand ils me quittent, je suis juste emplie de chagrin et de larmes, puis de rage et de haine… jusqu’au prochain, le prochain qui me ravit avec un regard ou avec une phrase. Et qui me ravage peu de temps après avec un regard ou avec une phrase.

Dans mon lit je suis seule, je m’entortille dans mes draps. Je ne les change pas dans l’espoir de garder un peu de son odeur. Si je peux la sentir, ce n’est pas vraiment fini. Il peut revenir, la place est là. Mais ils ne reviennent jamais. Je crie, je pleure, j’appelle, j’espionne, j’écris, je provoque : ils s’éloignent de plus en plus. Je ne vois plus qu’un petit point à l’horizon et je ne sais même plus son aspect, je ne sais même plus la couleur de ses yeux ni pourquoi il me manque tant. Il me reste ma douleur, la même, elle s’était faite discrète, elle s’était tapie dans un coin et je pensais : elle est partie ! Cette fois c’est bon, elle ne reviendra plus ! Mais elle me retrouve, elle ne m’a jamais perdue, elle me sourit tristement, résignée à notre cohabitation, elle agrippe mon ventre de ses mains glacées et soupire de satisfaction.

Au fond je ne sais pas ce qu’est aimer. Mes amis m’expliquent : être amoureuse et aimer ce n’est pas la même chose, ce n’est pas pareil. Pour aimer, il faut du temps. Mais qu’y puis-je s’ils s’en vont trop tôt ? Je ne sais pas si je pourrais les aimer, mais je ne supporte pas que eux, ils ne m’aiment pas. Moi ? On me décrit intelligente et drôle, j’ai beaucoup d’amis, j’ai un travail utile et agréable, j’ai des valeurs, je sais m’amuser et faire la fête, je suis vivante et intéressante. Je ne me sens pas vraiment jolie, mais c’est eux, c’est eux qui me le disent : « Tu es belle ! » ! Alors pourquoi, pourquoi ils ne m’aiment pas ? Pourquoi ils ne restent pas et ne me choisissent pas pour la vie ? Pourquoi je ne parviens pas à les garder, en garder un, un seul ? Questions ressassées : mais qu’ai-je fait de mal ? Où me suis-je trompée ? Là, ou là ? J’aurais peut-être dû dire ça ou faire ça ou pas réagir de cette manière… Reproches ruminés : et puis non, c’est lui qui n’a rien compris. Je me suis fait avoir, il m’a menti, il m’a utilisée, il n’en a jamais rien eu à faire de moi. Dans combien de livres, combien de films il y a des histoires semblables… Je vis des choses bêtes et banales. Je ne peux même pas me consoler avec la palme de l’originalité. Je ne suis même pas une femme trompée qui après des années de mariage, se retrouve à tout devoir recommencer, avec trois enfants sur le dos et sans argent. Je n’ai pas le droit d’être désespérée. J’ai honte de raconter pourquoi je dois prendre des somnifères, pourquoi je pleure tout le temps, pourquoi je me sens au bord du gouffre. Je suis une fille quittée après quelques semaines. Est-ce si pénible d’être avec moi ? Jean est le cinquième à partir, en un an et demi. Il a tenu deux petits mois. A peine le temps de rêver un peu, de se disputer une ou deux fois, de se réconcilier, de se regarder dans les yeux, de croire qu’on est heureux. Puis en un souffle il ne me reste rien, même pas un petit cadeau ou une fleur séchée, juste quelques sms fous d’amour en mémoire et des projets tombés à l’eau.

J’ai voulu me jeter par la fenêtre. Pas pour mourir, juste pour ne plus avoir mal, pour éteindre mon cerveau une seule petite seconde. Mon corps était un gigantesque hématome. J’ai pris des somnifères pendant deux jours d’affilée. J’ai été voir une psychiatre et j’ai commencé à prendre des antidépresseurs. Mon psychanalyste ne me dit pas grand’ chose, comme d’habitude. Je sais qu’il est triste pour moi parce qu’il m’aime bien. Je lui raconte la même histoire depuis des mois et des mois : elle se termine toujours mal.

J’ai été voir mon meilleur ami. Il m’a dit : « Va en Bretagne. Tu vas en tomber amoureuse. Elle va te faire du bien » Alors j’ai réservé, j’ai tout organisé et je suis venue. Il avait raison. Il me connaît et il a déjà eu aussi mal que moi. Pour la première fois je pars seule. Je suis dans cette maison d’hôte, tenue par un petit vieux fantasque et gentil. Il voit que je ne vais pas bien. Il me laisse tranquille. Il me prépare un petit déjeuner, puis s’éclipse. Je mange et puis je pars me balader. Je déjeune dans des petits restaurants, des crêpes et du cidre. Je lis. Je remarche et je termine tous les jours sur cette plage. Parfois il pleut. Aujourd’hui le ciel est magnifique avec ses petits moutons blancs qui glissent vite avec le vent. Je m’assieds sur les rochers devant le phare, je fume, j’essaie de penser à comment aller mieux. Je me dis : « L’amour va arriver par surprise, arrête de chercher ». Je regarde la mer et je me sens toute petite, un peu angoissée, mais c’est bien, je n’ai pas envie de bouger. Depuis trois jours un garçon est sur la plage aussi, à la même heure que moi. Il s’installe plus loin. Je ne vois pas s’il est beau ou pas. Il semble triste. Il me voit, mais il ne me regarde pas. Je m’en fiche. Chacun se console de son côté. On est juste un peu moins seuls.

Quand il fera noir, je rentrerai le long de la plage de cailloux, à la lumière des étoiles. Le petit vieux laisse la porte de la véranda ouverte à l’arrière et une tasse de thé chaud m’attend sur la table. Je vais la boire et regarder dehors. Puis j’irai me coucher, le petit velux entrouvert pour continuer à entendre le ressac qui m’accompagne toute la journée. Peut-être je lirai un peu. Ou je pleurerai un peu en pensant aux bons moments avec Jean. Les deux, probablement. Ici je dors les poings fermés. J’ai mal, mais un peu moins. Je n’ai pas de réponse à mes questions, je n’ai pas de solution. Mais je me remplis de quelque chose. De la Bretagne, de la mer, de moi-même, je ne sais pas. Je dois peut-être tomber amoureuse de moi. Chaque jour je me dis : ça va aller. Aujourd’hui j’y ai presque cru." (A.B.C.S., 2013)

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