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Un peu de... lecture pour le mois sans HORECA (et avec couvre-feu, et...) - La chanson...


Texte de fiction rédigé en 2019... Jamais publié.

Elle est assise dans une cabine des toilettes. Elle est juste assise, sur le couvercle, elle ne fait rien, elle regarde dans le vide.

Elle attend cette soirée depuis exactement 2 mois et 10 jours.

Depuis le soir où ils ont dansé, le soir où il l’a séduite, le soir où finalement il ne s’est rien passé, alors qu’elle en crevait d’envie.

Pourquoi il ne s’est rien passé, ce premier soir, elle ne le sait pas. Elle a eu trop peur et n’a pas joué le jeu jusqu’au bout, ou il ne voulait que la draguer pour rire, ou bien ils étaient trop saouls, ou alors il y avait trop de monde, ou peut-être tout cela et autre chose.

Le fait est que depuis, il l’obsède. Elle ne pense qu’à lui, se repasse le film de leur danse en boucle, en change la fin de mille manières différentes, elle imagine la suite, les autres rencontres clandestines, l’histoire passionnelle, le dilemme sur le long terme. Son esprit est pris à longueur de journée par lui, par ce qui aurait dû se passer, par ce qui doit forcément passer la prochaine fois qu’elle le verra.

Et la prochaine fois, c’est enfin ce soir. Elle le savait, elle est venue exprès à cette soirée parce que c’était le seul moment où elle était certaine de le retrouver. Elle a visionné la vidéo de la précédente, où on le voit trois secondes, des dizaines de fois.

Elle a décompté les jours, cochant des cases sur son calendrier mental. Ce temps, ces 71 journées, lui ont semblé interminables. Un laps de temps infini.

Alors, pour le passer, ce temps, elle l’a cherché partout, dans les vitrines des cafés, en descendant du tram, en marchant sur le trottoir du boulot à la maison. Il habite la même ville, ce n’est quand même pas impossible de se croiser, non? Et quand elle ne le cherchait pas, elle imaginait que lui la cherchait, qu’il arpentait les rues, qu’il la regardait de cette voiture là, juste celle là, devant laquelle elle traversait.

Il sait où elle travaille, il va peut-être passer la voir, lui proposer un café après le boulot. Il connait son nom à elle, il va lui envoyer un message privé, lui avouer à quel point il ne peut arrêter de penser à elle depuis ce premier soir, cette première danse.

Chaque jour, se lever avec cet espoir vissé au ventre.

Pour tenir.

Elle s’est délectée de l’idée qu’il ait pu pirater son ordinateur à elle ou qu’il l’espionne sur les réseaux sociaux, obnubilé par la quête de ses photos, de ses textes, de ses aventures.

Elle l’a visualisé en train de faire l’amour à une autre, toujours la même ou pas, en pensant à elle, rageant de ne pouvoir la posséder autrement que par l’imagination.

Elle s’est moquée de lui, le pauvre, désespéré, ne sachant pas, lui, qu’ils allaient se voir ce soir!

Toute occupée à vibrer de ses constructions, elle n’a pas réussi à vivre réellement son quotidien, pourtant fort agréable. Elle n’est même pas sûre d’avoir respiré tous les jours, ni dormi toutes les nuits, ni souri avec conviction, ni parlé avec pertinence.

Mais elle n’a pas été inactive, certainement pas! Elle a arrêté ou presque de manger les premières semaines, pour perdre quelques kilos qui s’accrochaient au bide depuis deux, trois ans. Puis elle s’est nourrie très raisonnablement, pour ne pas les reprendre. Ce n’était même pas difficile, elle carburait à l’anticipation de la deuxième rencontre, à la frustration laissée par la première, inachevée. Elle a repris le sport, pour tonifier un peu l’ensemble. Elle a racheté des tonnes de fringues, pour changer de style, se mettre en valeur, trouver la bonne tenue pour ce soir. Elle est retournée chez le coiffeur après avoir laissé ses cheveux en friche pendant cinq ans. Elle s’est redécouverte un corps, qui pulse. Elle a dansé, beaucoup, elle a plus écouté de la musique que lu (lire est aussi nécessaire qu’une fonction vitale, pour elle, en temps normal). Elle s’est entraînée à draguer, séduire, piéger les proies.

Tendue à l’extrême vers cette date.

Elle en a rêvé, elle en a pleuré, elle en a joui.

Tous les scénarios ont été passés au peigne fin.

Il vient avec une autre.

Il vient seul, mais il drague une autre femme.

Il drague une amie à elle.

Il vient, mais ne lui parle pas, ne la reconnait même pas (impossible).

Il vient, mais repart trop vite pour qu’il se passe quelque chose.

Il vient, mais trop tard, elle a trop bu et ne ressemble plus à rien.

Il vient et la pousse dans les bras d’un autre ou se réjouit de voir un pote à lui tenter l’aventure.

Il vient, mais il n’en a rien à foutre.

Peu importe, elle est parée à toute possibilité, elle a une stratégie en réserve pour toutes ces options. Et puis, le destin doit être de son côté, il l’a déjà été.

Il y a aussi toutes les scènes considérablement plus sympathiques. Les regards, les allusions, les sous-entendus, comme la première fois. Des danses, encore. Les mots dans l’oreille, l’invitation à se retrouver, dans les toilettes, ou dehors, ou plus tard, ou ailleurs qu’ici, ou demain, enfin, cette semaine au plus tard, absolument, il ne peut pas attendre plus, c’est impératif qu’il la touche, qu’il l’embrasse, qu’elle soit à lui.

Et puis il y a LE film.

Elle danse sur une chanson, bien précise.

Elle est irrésistible et désirable comme jamais et ils se regardent, ils ne se lâchent pas des yeux, et quelles que soient les circonstances, le contexte, les gens présents ou pas présents, après quelques secondes, disons à la moitié de la chanson, parce qu’elle irrésistible et désirable il ne peut pas s’empêcher de s’approcher, de mettre ses mains sur elle, sa bouche sur la sienne et plus rien n’existe.

Le jour approchant elle s’est assurée de rendre naturelle sa présence à cette soirée. Elle ne l’a pas annoncé explicitement sur sa page, elle voudrait quand même créer un effet surprise minimum, mais elle en a parlé autour d’elle, semé le doute dans son entourage à lui. Elle a fait chauffer le réseau de leurs connaissances communes, en multipliant les rencontres et les contacts. Pas question d’avoir l’air paumé, une fois sur place.

Elle s’est préparée minutieusement. Elle a cherché des garanties de sa venue à lui: c’est bon, c’est annoncé officiellement, il en fait même la pub de cet événement, il l’organise presque, s’identifiant dans les publications, s’affichant sur les photos des préparatifs.

Il est invraisemblable que ce moment se passe mal, qu’il ne se passe rien entre eux. Ou alors elle est complètement folle.

Bon, d’accord, un peu.

Mais elle ne s’est pas trompée à ce point et lui, il a été très explicite, la première fois.

Alors.

Elle est là assise sur les toilettes et regarde dans le vide. Puis elle est ramenée à la réalité, au présent. Elle frémit. Une musique familière s’insinue jusqu’à ses oreilles. C’est LA chanson. Celle DU film. Elle n’était pas certaine qu’elle passerait, la musique n’étant pas une variable très maîtrisable. Mais la voilà, elle passe! Elle se lève, ouvre la porte à la volée, la faisant claquer contre l’autre cabine, elle court, se précipite sur la piste en remontant les marches quatre à quatre et la voilà, au milieu, avec les autres, elle danse, elle danse comme lors de ses entraînements réels ou imaginaires, elle se sent invincible. Irrésistible, désirable.

Elle danse et danse encore et bien sûr, il n’est toujours pas là. C’est la fin de la soirée et, elle l’a compris depuis le temps, il ne viendra finalement pas du tout. Personne ne sait pourquoi, elle entend tout le monde se poser la question: mais il est où? C’est bizarre, pourquoi il n’est pas là? C’est pas croyable, trop bête, inquiétant, c’est tout cela, mais voilà, on s’amuse, personne ne l’appelle ou prend de ses nouvelles, un autre verre, une autre chanson, une autre clope, puis on verra, il arrive, sans doute.

Elle tourne sur elle-même, capte les regards de certains hommes, sourit à d’autres encore.

(Sur l’autre scène, celle où défilent les images de ce qui ne peut pas se montrer, elle est immobile au milieu de la piste. On la bouscule, elle ne réagit pas, Elle fixe ce qui est absent, une larme coule, les sons sont distordus, les lumières stroboscopiques s’effilochent.)

Elle attrape des mains, se laisse entourer par des bras, plonge dans des yeux, se dérobe à des lèvres. Elle soulève ses cheveux pour exhiber son cou, sa nouvelle posture droite si travaillée. Elle danse, elle transpire, elle rit.

(Sur l’autre scène, tout est flou. Elle pâlit, vacille, on la bouscule encore, elle s’effondre, mais non, elle n’a toujours pas bougé. Le noir envahit tout, elle ne voit rien, n’entend rien, ne veut rien. Elle se sent partir loin, loin, plonger tout bas, tout bas.)

Elle danse encore, elle ne s’arrête pas, tout est parfait. L’ambiance, les personnes qui l’entourent et surtout, surtout cette chanson, la chanson qu’elle voulait. Mais il n’est pas là. Il n’est pas là. Elle est irrésistible, désirable, mais il n’est pas là et plus rien n’existe.

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