Un peu de... réflexions: Nonna, bon 90ème anniversaire!
- Chicca Cocca
- 4 déc. 2017
- 4 min de lecture

Mardi passé ma grand-mère a eu 90 ans. Jusque là, rien d’extraordinaire à en dire: elle est dans un autre pays, je l’ai appelée avec un peu de retard, le jeudi. Elle était toute contente que j’y pense.
Pendant ce coup de téléphone, elle m’a expliqué que pour le dimanche suivant, hier donc, la famille lui avait organisé une fête dans un restaurant. Elle était contente et en même temps nostalgique… De toutes les fêtes que nous avons vécues, quand mes cousins et moi-même étions petits, pendant «l’âge d’or» de notre saga familiale… Aujourd’hui la famille est en même temps plus nombreuse et plus dispersée… Certains sont partis, au sens propre du terme, suivant les aléas des couples, d’autres nous ont quittés, de manière définitive et radicale… Les cousins se sont mariés ou mis en ménage, des bébés sont nés… Et surtout, nous avons été vivre à gauche et à droite, dans le même pays qu’elle ou dans un autre comme moi… Un énorme changement par rapport à la période où nous habitions tous dans un rayon d’une heure autour de la capitale et où il était très facile de nous réunir pour un week-end ou plus.
Sa nostalgie a accroché la mienne… Les tableaux des souvenirs se sont affichés dans mon petit musée personnel.
Il y a surtout les odeurs et les saveurs de la cuisine. Le four à bois toujours allumé, hiver comme été… fragrance fumée qui se mélange avec celle du plat du jour… Le « soffritto » (mélange d’oignon, céleri, carotte, herbes aromatiques, anchois, qui sert de base à toute une série de recettes)… La pizza… les lasagnes ("timballo" dans notre région), cannelloni, ragù, acqua cotta (l’eau cuite!), la soupe de patate, la soupe de crevettes (mon plat grand maternel préféré!), la soupe de petits pois, la viande panée, les blancs de poulet farinés au vin blanc…
Et le sucré! Miam le sucré! Le « ciambellone » (un genre de quatre-quarts), les crostate, les pâtes de Noël, le saucisson au chocolat…
Les épices… Le guanciale… La pancetta…
Je pourrais continuer la liste pendant un bon bout de temps, chaque plat ouvrant la voie à trois autres, l’eau à la bouche qui monte qui monte…
Aussi: les images de mes cousins et moi qui courons partout, dans cette cuisine qui est le coeur qui pulse de la maison; ou qui jouons à un jeu de société dans le grand salon froid; ou qui regardons un de nos films culte le soir dans le grand lit, blottis dans les couvertures.
Depuis ces années-là, il s’en est passé des choses, le voile dans lequel les enfants étaient cocoonés et protégés s’est déchiré: nous savons tous que ce n’était pas la petite maison dans la prairie et que les dynamiques familiales étaient loin d’être simples, que certains ont souffert à un moment ou à un autre. Mais...
Ma grand-mère a 90 ans depuis quelques jours. Elle ne peut plus cuisiner autant, elle ne peut même pas rester debout trop longtemps, elle a quelques soucis de santé, bien sûr. Plus que tout, je sais sa souffrance de ne plus nous voir tous autour d’elle en train de rire et de se charrier, de ne plus pouvoir tous nous nourrir 24h/24, jusqu’à l’explosion, que nous soyons deux, dix, vingt ou trente.
Pourtant: allez chez elle encore aujourd’hui, elle va vous faire à manger ceux qu’elle croit être vos plats préférés, elle va vous trouver maigres quelque soit votre poids, elle va remplir votre assiette et votre verre dès que vous avez le dos tourné et même si vous lui avez dit déjà dix fois que vous avez eu assez. Elle va couper le pain et vider son frigo. Elle va faire tout cela, parce que pour ma grand-mère la nourriture c’est de l’amour.
Ensuite, elle ne va pas vous laisser débarrasser ni laver la moindre petite cuiller. Elle va faire un café et vous proposer de vous allonger pour la sieste dans son propre lit ou va vous donner un billet. Un petit pour acheter une glace ou des pâtisseries, un gros parce que même à 40 ans, vous avez droit à « la mancetta » (le pourboire). Si vous avez des enfants, c’est eux qui ont le gros billet.
Je ne sais pas aussi bien cuisiner qu’elle, -loin de là!-. Chaque fois que j’essaie de reproduire une de ses recettes, elle n’a jamais le même goût que celui de mon enfance.
Encore plus que sa cuisine, j'admire chez elle cette capacité d’accueil, ce bonheur de nourrir, de réunir autour de soi… Une transmission précieuse dont je ne me sers pas assez, mais que je garde inscrite dans ma chair en attendant (en espérant?) de la développer.
Deux dernières traces des bons moments auprès d'elle… Le tic tac du gros réveil sur sa table de nuit… Je l’entendais de mon petit lit d’appoint, celui dans lequel je dormais chez elle. Encore aujourd’hui, c’est un bruit qui ne m’irrite pas du tout, il m’apaise, me permet d’être bien dans une pièce. Et ce souvenir doux des longues soirées d’été, lorsque toute petite je logeais quelques jours chez mes grands-parents, seule… Parfois mes parents me manquaient, alors elle m’installait avec elle sur la balancelle de la terrasse (« il dondolo »), son châle autour de nos épaules, nous regardions les étoiles, nous nous balancions lentement et elle me parlait… Jusque à ce que je m’endorme.
Nonna, promis-juré, même si à chaque fois que je te parle tu me dis que c’est peut-être la dernière et que nous ne nous reverrons peut-être plus jamais, pour tes cent ans je viens jusque là pour aller au resto avec toi. Buon compleanno.
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