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Un peu de... réflexions: Des enfants et des mots


J’adore la manière dont les enfants sont à la source des changements de langage. Les enfants, par leur manière d’appréhender le monde, le réinventent en le parlant.

J’imagine que vous avez tous l’une ou l’autre anecdote à ce sujet. Avec mes filles, je n’en manque pas!


Dans chaque famille, il y a un jargon unique, qui se transmet et se déforme au fil des générations. Quand plusieurs langues se mélangent au sein d’une cellule parents-enfants, un nouveau vocabulaire s’invente.


Quand j’étais petite, en Italie, nous avons à un moment commencé à systématiquement appeler les pieds les « puzzi ». Littéralement, « puzzare » veut dire puer. La « puzza » c’est la puanteur. "Les puzzi" pourrait se traduire par « ceux qui puent », mais chez nous, ça faisait mignon, on a dissocié le mot de ce qu’il était censé évoquer.

Quand ma première fille est née, ici, en Belgique, tout naturellement ce mot m’est revenu. Aujourd’hui, nous utilisons encore ce mot pour désigner les pieds (parfois les chaussettes ou les chaussures elles-mêmes). En français, ça se prononce d’une façon qui ressemble à « putssi », mais ce n’est qu’une approximation du bon son. Ce substantif inventé est devenu invariable : nous disons « un puzzi » et pas un « puzzo » (ce devrait être la même chose que les spaghetti: en italien le singulier est « uno spaghetto » et non « un spaghetti »). Mes filles disent donc puzzi. Elles le disaient même à la crèche, quand elles ont commencé à parler, suscitant les interrogations des puéricultrices et mes explications gênées.


Ou encore: un « pasticcio » (imprononçable en français = passticcho?). Un pasticcio en italien c’est un événement qui fait désordre, qui salit. C’est aussi une dénomination de plusieurs recettes, sucrées ou salées selon les régions, où l’on mélange plusieurs ingrédients, les restes d’un frigo, par exemple, et ce méli-mélo donne en général quelque chose de très bon, mais qui ne ressemble à rien esthétiquement). Cela devient, pour les enfants, une bêtise qui tache: renverser un verre ou une assiette, de la nourriture sur un vêtement ou sur un document, par exemple. Sélène vient parfois me voir avec sa petite tête coupable: « Maman, il y a eu un pasticcio ». Encore une fois, pasticcio est devenu un mot régulièrement utilisé à la maison pour désigner toutes sortes de désordres ou complications. Moi, je l’emploie aussi quand des mauvaises nouvelles ou un imprévu viennent chambouler notre quotidien ou notre organisation: « Che pasticcio! » je m’exclame alors. Ou quand je suis dans un état de confusion, face à une décision difficile à prendre. « Mamma mia, ma guarda che pasticcio!»


La plupart du temps, ces innovations, ces transformations du langage en restent là. Les enfants finissent par se rendre compte que personne à l’école n’utilise ces termes et ne les réservent plus qu’à la sphère familiale. Parfois, ils les oublient. Au mieux, ils les gardent en mémoire et les réactivent plus tard, dans le processus de création de leur jargon subjectif, qu’ils partagent éventuellement avec d’autres.


Mais parfois ces termes font des percées inattendues.

Il y a quelques mois une personne très proche m’a avoué que depuis qu’elle et son mari avaient mangé des pâtes chez nous, en compagnie de mes filles, ils appelaient les pâtes des « pépâtes », parce que Sélène, alors âgée de deux ans, les avait appelées ainsi tout au long du repas: « Ch’est bon les pépâtes!». Depuis Sélène a abandonné ce terme et j’avoue que moi-même je l’avais un peu oublié, mais, dans une autre famille, il était devenu un mot courant. Son évocation a eu presque le même effet qu’une odeur du passé, lorsque nous avons la chance de la sentir à nouveau après de longues années. Explosion de souvenirs, sourires, un peu de nostalgie.


Anaïs, ma « grande fille » a entamé une initiation aux arts martiaux depuis quelques mois. Parallèlement, avec des amies d’école, elle a inventé un sport, mélange de danse et arts martiaux: le « kounithiaw yaa », ce qui se prononce « kounichiouà ». Pendant la récré elles se donnent cours, organisent des démonstrations, des spectacles et même rédigent des bulletins d’évaluation les unes aux autres. A force de nous en parler, la contamination s’est faite: nous avons commencé à appeler kounichiouà les vrais cours d’arts martiaux de Anaïs. Elles les suit avec une petite amie-voisine, qui a commencé à les appeler également kounichiouà. C’est le papa de cette petite voisine-amie qui les conduit tout le temps à leur cours. Et samedi, il m’a envoyé un sms: « Je vais venir la chercher un peu plus tôt, car je dois faire une course avant le kounichiouà ». Bien sûr, c’était une blague entre nous.


Et bien, j’ai souri, puis j’ai ri. Je me suis sentie bizarrement fière et bizarrement heureuse. Pleine d’espoir.

C’est bête, hein, mais je me suis rappelée que la puissance du parler enfantin peut changer le langage et donc les représentations; il peut changer un monde, un tout petit monde, mais peut-être le tout grand monde aussi, celui qui est en danger.

C’est peut-être une des raisons qui me pousse à partager les « bons mots » de mes petites, à essayer de transmettre le plaisir que j’éprouve dans ces moments qui sont des perles dans la construction de leur univers et du mien aussi, par conséquent.


Les mots ne sont pas juste de mots. Ils nous appartiennent à chacun, et avec les autres et par les autres, ils évoluent. Ils sont précieux, matière toujours en mouvement, toujours vivante. Non, ils ne sont jamais juste des mots. Ils ne suffisent pas, bien sûr. Mais ils sont le début de ce qui aboutit à nos actes.

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