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Un peu de... réflexions: Le cartable


Lors des journées un peu grises, ou pendant les moments gris des journées variables, il m’arrive de marcher. Pas longtemps, une partie d’un trajet en transports en commun, par exemple.

Ma tête se met en route en même temps que mes jambes (c’est une excuse, ma tête n’arrête jamais). Je pense à des trucs, sans le faire exprès.

Là, hier, au milieu d’une journée grise surtout à l’intérieur, j’ai repensé à mon cartable.

Mon magnifique nouveau cartable que mes parents avaient acheté pour mon passage en école moyenne.

Parenthèse. L’école moyenne, scuola media, est en Italie une étape intermédiaire de trois ans entre les primaires et les secondaires. Les élèves ont environ 11 ans lors de ce premier passage d’un degré à un autre. C’était mon cas.

Je l’avais voulu ce cartable! Tout beau, tout propre. Dans les nuances du jaune. Avec une splendide, énorme image d’une héroïne de dessins animés: « Lady Lovely ». Douce et belle, à l’exact opposé de comment je me sentais à cet âge là; sa caractéristique principale était sa chevelure, qui tombait en longues cascades de boucles blondes jusqu’à ses pieds. Ses cheveux étaient magiques et des petits animaux mignons aux très longs poils colorés, magiques eux aussi, se nichaient sur sa jolie tête pour amener des touches de mauve, rose, orange aux reflets dorés. Quand je pense aujourd’hui aux poux qui s’installent parfois chez mes filles, je me demande bien comment j’ai pu trouver agréable l’idée d’avoir des bestioles sur le crâne… Soit.

Mon cartable, donc.

Je l’avais vu en vitrine de mon magasin de jouets fétiche, près de mon école primaire. J’ai eu un coup de foudre. Il me le fallait. Absolument. J’ai oeuvré pour convaincre mes parents un temps assez considérable, et j’y suis parvenue. Ou alors, ils avaient toujours eu l’intention de me l’acheter, mais pas tout de suite. Je ne sais plus.

Je l’avais et j’en étais pas peu fière. En attendant la rentrée, je le montrais à tous ceux qui passaient à la maison, la poitrine gonflée d’orgueil. Il était censé représenter ma nouvelle vie dans une nouvelle école, il allait m’accompagner dans toutes mes péripéties et, sûr et certain, on allait me l’envier. J’allais avoir une allure pas possible.

Or, il se trouve que ce cartable a pourri une année scolaire entière de ma vie. Je l’ai détesté environ cinq secondes après avoir franchi la grille de la cour, le premier jour d’école. En un seul coup d’oeil, j’ai vu que TOUT LE MONDE avait un sac à dos Invicta, la mode absolue de ces années là en Italie. De toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les formes, mais rigoureusement Invicta, logo officiel bien en vue. AUCUNE image de dessins animés à l’horizon. Le peu d’originaux ne se démarquaient certainement pas avec des niaiseries pareilles.

Ouch. J’ai haï mon cartable, je me suis haïe de mon choix, j’ai même un peu haï mes parents de me l’avoir acheté, en toute mauvaise foi et ingratitude. J’avais visiblement oublié d’afficher que je n’étais plus un enfant, plus tout à fait en tout cas, et qu’à 11 ans, nous nous devions d’avoir des allures d’ados alors que nous ignorions ce que ça pouvait bien vouloir dire. A part les boutons d’acné, les premières crampes au ventre et cette tête bizarre de transition que nous ne reconnaissions plus comme nôtre, le matin dans le miroir.

J’avais complètement raté mon coup.

J’ai vécu ce poids dans mon dos, qui doublait celui des livres et cahiers qu’on trimballait, comme un véritable supplice. Le matin j’arrivais en rasant les murs, au sens propre, bien sûr, et je m’empressais de déposer mon ex-objet de désir dans un coin caché, le temps que la cloche sonne. Le coin, je le choisissais sale et poussiéreux, pour que les crasses recouvrent cette cruche de « Lady Lovely » petit à petit. Je n’osais pas abimer avec mes propres mains sa stupide tête, ses cheveux à la noix et ses parasites idiots. Je n’assumais sans doute pas d’avoir changé d’avis de manière aussi radicale. Pour rentrer dans le bâtiment, je faisais toujours attention à qui était derrière moi dans l’escalier. Si ce n’était pas une copine de primaire ou au pire de classe, je traînais appuyée à la rambarde et je me joignais au courant au bon moment. Si j’étais en retard, mon seul souhait en courant angoissée dans les couloirs, était de ne croiser personne.

J’imaginais que tout le monde se moquait de moi, sauf mes amis qui eux, avaient pitié et ne m’en soufflaient pas un mot. J’étais persuadée que c’était à cause de mon sac que le garçon que j’aimais bien ne me daignait pas d’un regard. Enfin, principalement.

Une fois en classe, j’étais sauvée, dans tous les cas. Jusqu’à la sortie.

Si c’était papa qui venait me chercher, il portait parfois mon sac. Le soulagement que je ressentais lorsqu’il l’attrapait dans mon dos et le soulevait doucement était immense. Comme si les autres élèves allaient penser que c’était son sac, et pas le mien!

On pourrait penser que quand j’écris TOUT LE MONDE avait un Invicta, j’exagère. Sans doute. Je le vivais ainsi. Quand je dis que PERSONNE n’avait un cartable avec un personnage de dessins animés, je mens aussi un peu. Nous étions trois. Dans toute l’école. Là, c’est vrai, j’ai eu le temps d’observer et compter en un an. Il y en a un que j’ai oublié, il est un peu flouté dans le brouillard des souvenirs. Mais l’autre, je m’en souviens très bien.

L’autre, c’était Cinzia. Elle était dans ma classe. J’adorais son existence, parce qu’elle avait un vieux sac à dos de Barbie, avec la tête de la dite Barbie bien visible sur la poche. Sa présence était un apaisement pour moi, parce que je me disais que sa situation était bien pire que la mienne.

Pourtant, elle semblait s’en soucier comme d’une guigne. Non. Ce serait plus juste de dire qu’elle était résignée, elle ne luttait pas comme moi pour une quelconque reconnaissance dans les drôles de hiérarchies que nous créons, à cet âge là. Il faut dire que le cartable nul de Cinzia était peut-être le dernier de ses soucis. Elle était légèrement en surpoids. Elle ne réussissait pas bien à l’école, dans aucune matière. Elle n’appartenait pas au groupe qui venait de mon école primaire qui constituait les deux tiers de notre classe. Elle ne semblait pas connaître d’autres enfants. S’habillait « bizarre », c’est à dire pas à la mode, et ses vêtements n’étaient jamais neufs.

Je ne me souviens pas que nous nous soyons moqués d’elle ou qu’elle ait été victime de harcèlement. Je me dis que j’avais quand même une chouette bande de copains. Ce qui me reste d’elle c’est cette impression de solitude qu’elle dégageait et imprégnait l’air autour d’elle. L’y enfermions-nous, s’y enfermait-elle? Les deux? J’allais parfois lui parler. Alors, ses yeux s’allumaient d’un coup. Elle était assez drôle, en fait. Je riais avec elle. Elle avait un chouette rire. J’ai décidé, et ma meilleure amie a adhéré sans hésitation, de faire l’expérience de traction du bois en éducation technique, avec elle, chez moi. Nous avons passé une bonne journée ensemble. J'ignore si à l’époque j'étais consciente des raisons qui animaient mon projet. Aujourd’hui je me dis que c’était sans doute une sorte de compensation au soulagement qu’elle m’apportait dans mon histoire de cartables. Peut-être pressentais-je que mes sentiments à son égard n’avaient rien de glorieux. Mais je sais que je l’aimais bien, comme ça, un peu à distance.

Ce n’est pas vraiment une histoire, il n’y pas de morale, il ne s’est rien passé de spectaculaire.

Lors de mon dernier jour d’école cette année là, j’ai dit au revoir à tous mes copains d’enfance, à la scuola media, aux profs, à Rome. J’ai déménagé dans une plus petite ville à environ une heure de la capitale. Je n’ai plus jamais revu Cinzia, ni eu de nouvelles d’elle (ou de la plupart de mes camarades).

J’ai enfin parlé de mon cartable à mes parents, honteuse. J’avais tellement insisté pour l’avoir, j’avais promis d’en prendre soin, de le garder longtemps. Evidemment, ils m’ont dit: « Pourquoi diable tu n’as rien dit? » Oui, pourquoi? Je pensais peut-être que mon tourment se lisait sur ma figure, que je l’avais un peu dit, quand même, sans conviction. Il est sûr qu’ils m’auraient aidée, peut-être pas en en achetant un autre, mais en m’aidant à assumer, à supporter, ou en trouvant avec moi une solution plus créative que se cacher et salir. Pourtant, je ne l’ai pas fait.

L’année suivante, dans ma nouvelle nouvelle école, je suis arrivée triomphante avec un Invicta dernier modèle. Je l’ai adoré et gardé pendant des années. Il ne m’a pas sauvée des affres de l’adolescence.

Curieux, hein, où mène l’esprit en déambulant dans la grisaille interne…

Ma dernière pensée, avant de monter dans le tram et plonger dans mon bouquin, a été pour ma grande petite fille de presque 9 ans. Quand je lui demande, chaque soir: « Comment s’est passée ta journée? » et que dans un premier temps elle me dit « Rien de spécial », je devrais me rappeler que ce n’est pas vrai. Heureusement, par la suite, elle me raconte plein d’anecdotes, de détails joyeux ou qui serrent un peu les tripes. Nous parlons. Vraiment. Je crois.

Jusqu’à l’inévitable pause, dans ses futures années bizarres.

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