Un peu de... lecture pour le mois sans HORECA - Les règles

Texte écrit le 22 Juin 2019.

Attention: post où il est question du "truc des filles", âmes sensibles, s'épargner la lecture.

Matin, pas vraiment tôt, je suis devant mon café en train d'essayer de retrouver ma vue malgré mes paupières gonflées de sommeil et les restes de fatigue. Je me demande également comment diable un week-end va me suffire pour récupérer d'une semaine éreintante, pour affronter une autre semaine éreintante.

Ma grande fille de dix ans approche.

-Je peux te poser une question?

-(On respire un grand coup, la journée commence) Oui, bien sûr.

-J'ai de plus en plus de petits boutons sur le front. C'est ça l'acné?

-(Ouch) Pas vraiment. L'acné c'est vraiment bien pire que des petits boutons. Mais ça commence peut-être doucement. Peut-être que tu n'en auras pas beaucoup. Mais dans la famille, de mon côté on a tous fait de l'acné, plus ou moins légère. Je comprends que ce ne soit pas très gai, chérie... même des petits boutons.

Pause. Gorgée de café.

-Maman?

-Ouaip. (Je sens qu'on va passer à la vitesse supérieure)

-Je crois qu'il vaut mieux que pendant un temps je ne mette pas de pantalons blancs.

-Pourquoi? (Je sais pourquoi, je le vois venir à 2000 à l'heure, mais je freine)

-Ben, parce que si la première fois que CA m'arrive j'ai un pantalon blanc, c'est la honte.

Voilà voilà. J'ai pas le courage. Mais c'est moi qui ai voulu que dans notre maison, ce sujet ne soit en aucun cas un tabou, un secret, un truc à cacher ou à chuchoter, à vite s'enfermer aux toilettes, à vite tirer la chasse, à vite changer le sac poubelle. Et donc, on assume.

-Ecoute, piloute. Ça peut arriver n'importe quand. Demain ou dans des années. Alors, le mieux, c'est de vivre normalement. Si ça te rassure, à partir de septembre tu pourras avoir un sac à l'école, avec une serviette et un change.

-Oui! Super maman!

Pause, café chaud. Les yeux sont maintenant grand ouverts.

-Mais maman, l'année prochaine je suis avec Mr M. comme titulaire. Comment je fais si ça m'arrive en classe, pour aller me changer?

-Ben, tu noues ton gilet ou ton pull autour de la taille, tu demandes à aller aux toilettes, si tu préfères tu cherches une femme adulte dans l'école pour t'aider et tu te changes.

-Et s'il veut pas que j'y aille?

-Tu insistes. Tu dis que tu es indisposée. Ou que c'est pour une question de jeune fille.

-Mais les garçons il vont rigoler! Tout le monde va savoir!

-Peut-être. Mais ça c'est au début, après les garçons ils grandissent, comprennent et ne se moquent plus.

Enfin. Souvent. Il y a d'autres soucis après, mais une chose à la fois, n'est-ce pas?

-De toute façon, maman, ils vont se faire gronder s'ils se moquent?

-Ben j'en sais rien. J'espère surtout qu'on va leur expliquer. Et qu'ils vont arrêter, alors.

-Mais je vais le sentir?

-Peut-être pas louloute, pas tout de suite.

-Ca coule comme un robinet?

-Non, pas vraiment, surtout au début. Ca dépend des filles.

-Tu avais quel âge, toi?

Ca y est. Ohlàlà, j'ai pas envie.

-11 ans.

Heureusement, elle ne demande pas plus de détails.

-Mais après, maman, on sait savoir le jour où ça va arriver pour pas être gênée tout le temps?

Aïe. Si tu savais. Le nombre de souvenirs inconfortables qui défilent dans ma tête. Si tu savais qu'encore hier, au boulot, ça m'est arrivé. Parce que je suis tellement fatiguée, que j'ai mal calculé, j'étais certaine que ce serait pas avant la semaine prochaine, malgré les signes évidents. Que je n'avais rien sur moi. Que la réserve que j'avais achetée pour la laisser au boulot il y a quelques mois, quand j'avais eu le dernier accident, était vide, parce que nous sommes six femmes collègues et que il y en a d'autres qui en ont eu besoin. Evidemment! Que je n'avais pas le temps de m'absenter moi-même pour aller faire une course. Que j'étais avec deux collègues mecs et que même si c'était pas impossible de le faire, j'ai anticipé la gêne de tout le monde et c'était au-dessus de mes forces de leur demander à eux d'aller en acheter. Que, comme des millions de femmes l'ont fait des millions de fois, j'ai fait avec les moyens du bord en espérant que ça aille jusqu'à la fin de la journée, puis jusqu'à l'école, dans le tram, puis jusqu'à la voiture, puis jusqu'à la maison, parce qu'une fois quitté le boulot, il n'y a plus de toilettes praticables en chemin.

Mais bon, ça fait lourd tout ça et les histoires des règles ce n'est pas que lourd. Et après entre filles, on en rit, on se rachète un peu de sentiment de dignité dans la complicité!!! Que d'anecdotes!

Bon, dit comme ça, ça semble un peu triste. Ca ne devrait pas être ni lourd, ni triste. Du tout!

Alors:

-Ben écoute oui, on apprend à s'écouter, à reconnaître les signes du corps, on connaît son cycle, comme on dit, et la plupart du temps, on sait et on prévoit.

Mais parfois ça peut arriver encore, c'est pas grave, tu sais.

-Quoi, ça t'arrive encore d'avoir la honte?

-La honte, non. Des accidents oui. C'est pas une honte, tu sais? Et si ça l'est, ben ça devrait pas.

-Tu as eu ça quand, la dernière fois?

Je souris.

-Hier.

-J'ai rien vu.

-(Ouf) Ben, voilà, tu vois?

-Tu n'oublieras pas le sac avec le change?

-Non, louloute, je n'oublie pas.

Elle sourit. Je suis contente de l'avoir rassurée. Un peu.

Et après, une douche, la cup et on y va.