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Un peu de... réflexions: Le Grand Hôpital


Donc il y a deux mois et demi j’ai senti une petite grosseur dans mon sein droit.

Et pour ne pas créer la panique et rassurer tout le monde, je précise d’emblée: c’est BENIN. Le but de ce texte n’est pas du tout de parler de la maladie. Ni de moi, ou plutôt à travers moi, le but est de parler de tout autre chose.

Je suis sujette aux kystes et, malheureusement, à risque pour les tumeurs, à cause d'antécédents familiaux. Je dois faire attention, depuis des années, et c’est ce que je fais.

J’ai senti l’ « intrus » quelques jours avant de partir une semaine au rendez-vous annuel avec mon lieu de formation et j’allais être réglée. Je sais qu’il faut attendre que les seins dégonflent avant de s’alarmer: j’ai donc attendu d’être rentrée avant de prendre des dispositions.

La grosseur n’était pas partie. Je vous passe les détails du parcours: rendez-vous chez ma gynécologue, qui m’a prescrit une échographie, que j’ai été faire dans le centre où j’ai déjà effectué des contrôles.

Jusque là, je connaissais: un peu de stress, voire d’anxiété, mais, comme on dit: pas encore de raisons de partir en cacahouète. La « boule » peut être un kyste, j’en ai déjà eus. En fait, j’en ai tout le temps: des gros, des petits, qui vont, qui viennent, mais au dernier contrôle, tout allait bien.

Vous connaissez peut-être ce moment où vous voyez à la tête de celui ou celle qui vous fait passer un examen médical que ça ne va pas. Ben, voilà, ça n’allait pas: « Je suis désolée, ce n’est pas un kyste ».

Je survole encore les larmes, la biopsie, les explications, puis l’attente des résultats (chance: que cinq jours. Après 24h de panique à bord, un genre de système de survie/déni se met en place et même si cette défense sommaire et fragile coûte cher en énergie, elle fonctionne assez bien).

Cinq jours après, donc, délivrance, c’est une tumeur, mais bénigne, il faut l’enlever, mais pas d’urgence.

Je peux prendre rendez-vous à l’avance avec le chirurgien conseillé par ma gynécologue, dans un hôpital que je connais et qui me convient. Puis je peux partir en vacances et en profiter.

Pour en profiter, j’en ai profité, nous étions 12: famille, amis, soleil, piscine, lecture, quelques visites, bonne nourriture, des soirées à jouer, papoter, déconner, avoir des fous rires entre un verre et l’autre (à consommer avec modération, bien sûr). Bref.

Mais, j’avais mon petit nuage de poche, là, toujours prêt à surgir au moment de tourner la page de mon roman ou dans un instant de silence après avoir ri de bon coeur.

Trêve de mélodrames, je vous l'ai dit, le propos n’est pas là. Cette longue introduction avait pour but de planter le décor humain, créer du contraste, avant de rentrer dans le vif du sujet.

Le deuxième mardi après mon retour de vacances, je quitte plus tôt ma réunion hebdomadaire et je me rends dans cet hôpital si familier, à force d’y traîner pour moi et pour Anaïs.

Je me dirige vers la file à l’accueil. Une femme me fait remarquer qu’il faut d’abord que j’introduise ma carte d’identité dans une borne automatique et que la dite borne me signalera si je dois passer au guichet de l’accueil. Ah bon? Des bornes automatiques? Tiens.

Quelques questions à l’écran et puis le verdict, je dois passer au guichet « humain ». Je retourne donc à la file initiale et je passe au guichet. Je suis le chemin indiqué et me voilà en gynécologie où je dois… Ben, prendre un ticket et faire la file pour me signaler à l’accueil du service. Comme tout cela a fait que je suis en retard de cinq minutes, finalement, je dois moi-même aller toquer au bureau du chirurgien.

Comme je m’y attendais un peu, le rendez-vous dure entre cinq et sept minutes. Il regarde mon dossier et mes examens sur son écran, me pose deux-trois questions d’anamnèse médicale, une visite instantanée (15 secondes top chrono) pour sentir où la tumeur se situe, explication technique de l’intervention et de la durée de la convalescence. Nous faisons même quelques blagues un peu convenues, puis je sors avec des paperasses que je suis censée aller donner aux « pré-admissions », pour fixer les rendez-vous pré-opératoires.

Le rendez-vous était à 15h20, je suis arrivée à 15h25 dans son bureau, j’en sors à 15h35 à tout casser. Je me rends jusqu’aux portes coulissantes automatiques des pré-admissions -tiens après les bornes: autre nouveauté- et -je vous le donne en mille- je prends un ticket et j’attends mon tour. Une petite demi-heure (ben oui, il y a trois guichets, mais un seul qui fonctionne) et « mon » bzzzz retentit. Je passe dans la cloison et la dame derrière le bureau est au téléphone. Elle ne me regarde pas, je m’installe.

Ca dure. Ca dure tellement que je me mets à lire mon bouquin, en me demandant pourquoi elle n’a pas attendu d’avoir terminé avant d’appuyer sur le bouton. Elle raccroche et s’excuse.

« Je suis désolée, mais je dois régler un problème ». Pas de souci, moi je lis, ici ou dans la salle d’attente, c’est pareil. Je vois bien qu’elle est débordée, je ne lui en veux pas.

Elle passe un autre coup de fil, puis un autre. Elle tape sur son clavier, remplit des documents, coche des cases. Au bout d’un bon quart d’heure, elle a fini et prend mes papiers. Elle me pose deux-trois questions, re-tape sur son clavier, re-coche des cases, re-colle des étiquettes.

Elle murmure en regardant son écran: « tumorectomie droite ». Ah ben, voilà comment s’appelle l’intervention, j’ai encore appris quelque chose.

Elle me fixe rendez-vous deux semaines après avec l’anesthésiste. Puis me tend un dossier, elle me parle en entourant au fluo l’heure du rendez-vous chez l’anesthésiste, l’heure à laquelle je dois me présenter le jour de l’intervention et le parking où je peux me garer. Elle me dit également que le jour où je rencontrerai l’anesthésiste, je peux aller directement aux pré-admissions et que je dois remplir à l’avance un questionnaire de quatre pages pour ce jour là. Elle précise, en me montrant du doigt le dossier: « Vous avez un peu de lecture, mais toute l’information est là dedans ».

Je sors, il est, avec tout ça, près de 17h. Je vais être en retard pour aller chercher les filles, si je ne me grouille pas! Plus de temps à faire des files et à attendre qu’à parler avec des gens. Je me sens étrangement abattue. Pourtant rien de bien nouveau.

Enfin si: j’ai appris que l’intervention était un peu plus « lourde » que ce que j’imaginais, avec dix jours maximum de "repos" à la clé.

Evidemment que je rêvais de me débarrasser du « truc » et puis hop -magie!- le lendemain retravailler. Bon, tant qu’à faire, je vais les prendre les jours de convalescence.

Ah! J’ai aussi appris le déroulement de l’opération. Combien de temps ça va durer. Comment s’appelle l’intervention (ça, je l’ai découvert grâce à l’acuité de mon ouïe). A quelle heure je dois arriver. Puis aussi où on peut se garer.

Si j’ai d’autres questions je peux de toute façon lire mon petit dossier « hospitalisation ».

Pourquoi alors j’ai cette drôle d’humeur en sortant du Grand Hôpital? Les gens n’ont pas été désagréables, ils ont même tous été plutôt sympas, corrects, professionnels, efficaces.

J’ai parlé en tout avec 5 travailleurs de l’hôpital. Chacun a fait son travail.

Aucun ne m’a demandé si ça allait. Comment je le vivais. Si j’avais besoin d’un soutien psychologique professionnel. Si j’étais entourée, soutenue, accompagnée. Personne ne m’a appelée ne fût-ce que par mon nom de famille.

Juste des cases, des termes médicaux, au mieux une petite blague anodine, des sourires polis.

Comme à la poste, quoi.

Deux semaines après, la veille du rendez-vous chez l’anesthésiste.

Tard dans la nuit, avant de me coucher, j’ouvre pour la première fois le fameux dossier.

Je remplis le questionnaire « obligatoire ». Quatre pages de questions auxquelles mon côté obsessionnel m’empêche de répondre rapidement:

-Saignez-vous facilement? Choix: Oui, Non, Je ne sais pas.

« Facilement »? Par rapport à? La moyenne statistique? Je dois peut-être m’entailler la peau et mesurer la quantité de sang, pour voir si « je saigne facilement ». C’est quoi en fait saigner difficilement?

-Est-ce qu’un membre de votre famille a souffert de problèmes liés à l’anesthésie générale? Oui, non, je ne sais pas.

Euh… Famille? On remonte à combien de générations en arrière? Les petits cousins ça compte?

Je réponds le moins souvent possible « je ne sais pas », mais force est de constater que le contenu du questionnaire devrait être le contenu du rendez-vous en face à face lui-même, celui où on a une personne devant soi à qui on peut poser les questions débiles qui nous agitent quand il est question de notre santé. Je signe, comme prévu.

Je regarde les autres documents.

-Un document informatif de trois quatre pages sur l’anesthésie générale

-Un document informatif de ce qu’il faut faire le jour avant-le jour même-le jour suivant l’intervention

-Un document informatif sur les tarifs applicables par l’hôpital

Des adresses, des schémas (du parking et des tarifs), des numéros de téléphone à appeler au cas ci ou au cas ça.

Puis les consentements: à se faire opérer, à bénéficier de l’anesthésie générale.

Euh… Si je veux pas d’anesthésie générale, c’est quoi l’option? On m’opère à vif en versant de l’alcool à brûler pour désinfecter, un mouchoir à mordre entre les dents?

Et le bouquet: les coordonnées exactes de la personne qui doit venir me chercher le jour de l’intervention et, en principe, rester avec moi les 24h suivantes.

A aucun endroit on ne parle de stress, inquiétude, doutes, voire d’angoisse. Il n’y a pas le téléphone d’un service ou de professionnels de l’accompagnement psychologique. Et aucun nom, nulle part, ni de patient, ni de professionnel.

Les documents sont tous rigoureusement impersonnels (avec votre étiquette dessus): c’est la même soupe pour tout le monde, grave, pas grave, ce sera comme ça: lisez, tentez de comprendre, signez et advienne que pourra.

Nouvel abattement.

Le lendemain, deuxième incursion à l’hôpital. Pré-admissions, ticket, guichet, salle d’attente: je commence à être sur pilote automatique. Une dame plus âgée commence à se plaindre: ça fait une heure qu’elle est là: on l’a oubliée comme la dernière fois? Elle reste calme, bien qu’agacée et essaie d’en parler à une femme en blouse: « Je ne sais pas, je ne travaille pas dans ce service »; un homme qui sort d’un bureau, qui va vérifier: oui, le système informatique n’a pas fonctionné, elle n’était pas signalée comme présente malgré son passage à l’accueil. Elle s’énerve un peu, raisonnablement, le médecin lui répond avec un sourire bienveillant:

« Madame, je n’y suis pour rien »

Oui, c’est ainsi dans les hôpitaux, comme chez un opérateur téléphonique: personne n’y peux rien, c’est l’ordinateur, faut pas s’énerver. Mais qu’importe: le problème est résolu, elle est enregistrée et sera appelée rapidement.

Si cette dame n’avait pas osé s’adresser à deux personnes, encouragée par l’homme qui l’accompagne, elle aurait pu attendre combien de temps avant que quelqu’un s’inquiète de la voir toujours là? N’allons pas en faire un drame: ce n’est la faute à personne. Tout le monde a bien fait son travail.

Un patient est appelé, il ressort trente secondes après, furax: visiblement il n’a pas rempli le questionnaire, il doit le faire et sera reçu après.

Mon tour vient. Un grand gaillard, l’air blasé et fatigué, me reçoit.

Il copie mes réponses écrites sur un autre formulaire, me repose une dizaine de questions qui figurent dans le questionnaire, pour meubler probablement.

« Vous saignez facilement? »

« Ben, je ne sais pas très bien, je saigne normalement je crois »

« De façon anormale? »

« Euh… quand je saigne je sais d’où ça vient en tout cas »

« Ouvrez la bouche… Tirez la langue… Très bien. Vous pouvez y aller »

« Je ne dois pas faire une prise de sang? »

« Non, non, tout est normal, vous ne faites pas de sport, vous fumez, mais vous n’êtes pas en surpoids et puis, vous ne saignez pas facilement »

« … »

« … »

« Je viens à 9h le jour de l’intervention alors? »

« Oui, je crois, de toute façon c’est noté… »

Dans le dossier. Ben, oui, n’allons pas poser des questions inutiles.

Je n’étais pas fâchée, hein, franchement qu’est-ce que ce jeune médecin y peut? Comment pourrait-il prendre plus de temps avec la file qu’il y a dehors?

Si je n’avais pas dû ouvrir la bouche, on aurait pu faire ça par Skype, ou par scanner, encore plus simple, mais alors il n’y aurait rien eu à facturer, j’imagine.

D’ailleurs, pourquoi j’ai dû ouvrir la bouche et tirer la langue? Ah, oui, j’imagine que c’est pour vérifier la facilité de passage en cas d’intubation. Heureusement que je regarde « Grey’s Anatomy », hein? Pourquoi je n’ai pas posé la question? Va savoir, un médecin te dit d’ouvrir la bouche, tu le fais, lui il sait pourquoi. Pour cocher la bonne case pour l’anesthésiste qui va être là le jour de l’intervention, qui n’est pas le même qui te voit. Logique.

A l’hôpital, on prétend s’occuper du corps, mais le corps on le touche le moins possible.

On prétend s’occuper d’êtres humains, mais personne ne vous parle vraiment. On vous morcelle de ticket en ticket, de guichet en guichet. On vous « donne de l’information », débrouillez-vous avec ça et si vous avez des questions, ben posez-les, quoi. Au numéro prévu pour poser les questions, hein, pas à la personne en face de vous, qui ne s’occupe peut-être pas de ça.

Alors, soyons clairs: des médecins formidables, j’en connais, plein, dont ceux qui me suivent régulièrement. Pareil pour les autres catégories professionnelles qui travaillent dans un hôpital. Et il y a sans doute encore des hôpitaux, grands ou petits, ou tout cela se passe autrement. Même dans cet hôpital là ça se passe par moments autrement, je l’ai déjà vécu d’ailleurs, en d’autres occasions.

Ce n’est pas une plaidoirie contre une catégorie de travailleurs, ni contre une structure hospitalière en particulier, encore moins contre les personnes qui « se sont occupés » de moi d’une manière ou d’une autre. Vraiment pas. je pense que le poids de ce qui leur arrive, à eux et à leur travail, doit être immense et difficile à porter.

Ce texte est la chronique d’une prise de conscience brutale. Ce qui se glissait jusque là de manière insidieuse et lente dans le monde « de la santé », s’expose actuellement au grand jour paré des beaux atours de la modernité et de la technologie. Le point de bascule a dû m’échapper, mais cela s’est passé rapidement, en peu d’années. Il y a aussi qu’entretemps je me suis engagée dans des causes et parfois des combats qui touchent de près à ce domaine, alors j’y suis sans doute encore plus sensible qu’avant. D’autant plus quand je me retrouve « de l’autre côté de la barrière » (ou du guichet, devrais-je dire).

Je ne vais pas particulièrement mal. Je m’en sors avec ça: je ne suis pas la plus démunie, je ne suis pas la moins formée, j’ai de l’expérience en tant que « patiente » aussi, je sais à qui m’adresser en cas de souci et puis surtout je suis super entourée. Super bien entourée. Et, disons-le, il y a des centaines d’exemples de situations médicalement plus dramatiques que la mienne.

Mais combien ne sont-ils pas dans cette sécurité suffisamment soutenante? Combien sortent d’un hôpital le ventre noué, les neurones en surchauffe, la tête cotonneuse?

A qui en vouloir? Ce n’est pas un tel ou un tel, tel endroit ou tel autre. C’est un mouvement socio-culturel (et politique, oui, politique) qui broie. Qui broie de l’humain. Qui déshumanise des métiers nobles et des travailleurs qui deviennent eux-mêmes interchangeables. Qui morcelle le corps en cases et en mots difficiles, tout en le détachant artificiellement de la personne qui inclut ce corps.

Qui dilue la question de la responsabilité dans des documents à lire, des consentements à donner. Le patient a tout en main pour être « maître » de sa santé. Et en cas de problème, il n’aura qu’à s’en prendre à lui-même et à payer, au sens propre comme au figuré.

Le Grand Hôpital c’est cet endroit où l’on croise des interlocuteurs sans les rencontrer, d’où l’on peut sortir plus seul et désemparé que lorsqu’on y est entré.

Au risque d’être peu originale et redondante: les maîtres mots sont efficacité, technique, économie. En soi, cela pourrait être une belle avancée, mais ces mots érigés comme seuls critères, seules lois qui gouvernent le domaine de la santé (y compris la santé mentale)?

Le Grand Hôpital n’est pas un lieu, c’est ce qui est en train d’arriver, qui est déjà arrivé à beaucoup d’endroits, c’est ce qui nous attend tous et partout si nous ne…

Si nous ne quoi? A chacun de se faire une idée. A chacun d’agir en conséquence, dans la mesure de ses moyens et de ses limites.

Je suis pessimiste? Non, parce que je ne veux pas croire qu'il soit définitivement trop tard.

Je suis surtout très très en colère, révoltée, pas par ce qui m’arrive à moi, mais par ce qui nous arrive à tous et que nous laissons arriver parce que « c’est comme ça ».

Je suis en rogne, oui, parce que dans le Grand Hôpital, la seule question qui compte, celle qui est à l’origine même du métier médical n’est plus posée que par hasard ou par chance:

« Comment allez-vous? »

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