Un peu de... livres: "Débâcle" (Lize Spit). Accrochez-vous...

Déjà trois jours que je l’ai terminé et je peine encore à trouver des mots qui me semblent « justes ».

Eva est la narratrice. Elle nous emporte dans son histoire le long de trois fils temporels.

-Une journée très froide de décembre. Celle où elle décide de régler ses comptes avec le passé. Celle où elle va retourner dans son petit village en Flandre pour la première fois depuis de longues années.

-L’été 2002. L’été poisseux et grisâtre qui va marquer sa vie à jamais. Le premier après le passage de l’école primaire aux études secondaires. Celui où ses deux amis d’enfance, Pim et Laurens, inventent un jeu dangereux et malsain pour les filles du village.

-Un dernier fil, qui remplit les blancs de ce qui s’est passé depuis la naissance d’Eva, Pim et Laurens, entre 1988 et l’été 2002. Ce n’est pas linéaire. Eva dépeint par petites touches la solitude et la misère affective qui habitent son histoire dès le départ.

Trois rails parallèles: oui, il faut être un peu attentifs aux dates, mais on s’y retrouve très bien. Ce n’est pas plus difficile que lorsque, de manière plus classique, nous suivons deux histoires parallèles: deux personnages qui se partagent les chapitres d’un récit à deux voix, ou bien le passé et le présent qui se rejoignent pour dénouer les intrigues.

Eva ne nous dit jamais vraiment ce qu’elle éprouve. Elle nous le fait sentir en décrivant impitoyablement le temps, les lieux, les personnages. Elle décrit ce qui se passe, ce qui se dit. A coup de métaphores, de comparaisons, d’images inattendues et brutales, elle distille en nous les sentiments et les émotions qu’elle ne peut pas dire, peut-être qu’elle ne peut pas éprouver.

Nous touchons ainsi du doigt la profonde détresse qui l’habite depuis toujours, sans qu’elle la nomme. A travers son regard aiguisé nous avons accès à la vie d'un village et de ses habitants, qui paraissent abandonnés à eux-mêmes, étouffés sous leurs propres dérives; ainsi qu'au quotidien de sa famille: deux parents en débandade totale, un grand frère qui s’en sort par la rationalité scientifique, une petite soeur qui glisse inexorablement dans l’enfer des troubles obsessionnels compulsifs.

Eva semble n’avoir que deux attaches affectives fortes, mis à part cette même petite soeur: Pim et Laurens, ses amis d’enfance.

Ils sont les seuls enfants nés en 1988 dans le village, ils sont les « Trois Mousquetaires ».

Plusieurs événements vont petit à petit mettre à mal leur lien: un décès, les changements d’école, l’arrivée de l’étrange Elisa dans le village… Et, bien entendu, l’irruption de la sexualité au début de l’adolescence. Les deux garçons commencent leur exploration avec le seul repère offert par leur environnement social, culturel et familial: des films pornos achetés en cachette.

Eva se sent exclue de deux façons: elle n’est pas un garçon, mais elle n’est pas non plus une fille désirable, qui pourrait devenir objet des pulsions de Pim et Laurens.

Pour exister, elle accepte bon gré mal gré d’être leur complice dans un jeu qui est un piège pour les autres filles…

A aucun moment, nous n’avons accès à ce qui se passe pour les autres personnages du livre. Notre seul filtre est Eva, avec ses perceptions, et nous nous retrouvons englués avec elle…

Pas d’illusions: il n’y a aucune trace de joie dans ce livre sombre… Un mal nécessaire? A chacun de s’en faire une idée…

J’ai été particulièrement touchée par ce que j’appellerai, de manière totalement subjective, un féminin en détresse. Et également par l’incapacité de faire appel à un autre perçu comme bienveillant. Je ne vais pas m’engouffrer dans mes « psychologisations » du roman, mais ces deux thèmes m’ont bousculée.

L’oeuvre n’a même pas besoin d’aller si loin dans les interprétations.

Elle est en soi, une énorme et violente claque, qui ne peut pas laisser indemne.