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Un peu de... livres. "Confiteor" (Jaume Cabré): Passons aux aveux...


Parfois il ne faut pas insister. Pas tout de suite, en tout cas.

« Confiteor » de Jaume Cabré, je l’ai extrait d’une caisse en carton chez des amis qui m’ont laissée choisir quelques livres qu’ils donnaient. J’en avais entendu de très jolies critiques.

Je l’ai commencé peu de semaines après.

Il y a des livres qui « tombent mal » dans notre vie: pas le bon moment, pas beaucoup de temps, pas envie de ce style. Ils risquent de finir oubliés dans un coin, parce que des livres qu’on a envie de lire, il en sort tous les jours.

Puisque je n’aime pas trop l’idée d’avoir des livres à moitié lus, j’avais une règle: « Si tu commences un bouquin, tu dois le terminer avant d’en commencer un autre ».

J’ai laissé tomber très peu de romans, espérant, à un moment ou à un autre avant la dernière page, y trouver mon compte. Parfois cela a été le cas, parfois pas.

Il m’arrive donc de m’embarquer dans des lectures interminables et que je vis de manière pénible, juste pour respecter mon principe à la noix.

Depuis quelques temps je m’autorise de plus en plus d’écarts. Il y a trop de choses à lire et je n’ai déjà pas assez de temps!

Donc, « Confiteor », je ne l’ai pas commencé au bon moment. J’étais trop occupée avec des engagements extra-professionnels, pas très concentrée dans les transports en commun, trop fatiguée le soir pour lire ces pages si puissantes.

Au bout de 100 et quelques pages, (il en fait près de 800), je n’ai pu résister à un polar qui me faisais de l’oeil sur la table de la salle à manger. Et après, par le Goncourt 2017. Et après je n’ai plus beaucoup lu pendant quelques jours.

Alors, par terre à côté de mon lit, il y avait cette grosse brique abandonnée qui tous les soirs me glissait à l’oreille: « Allez, reprends la lecture, avant d’avoir tout oublié… »

"J’ai déjà beaucoup oublié. Trop de noms… Trop d’époques… »

« Mais allez, c’était bien écrit non? »

« Ah oui, très. Mais un peu trop dense, un peu trop érudit… »

« Oui, mais profond non? »

« Bien sûr, mais… Si je recommence au même rythme que la première fois, j’en ai pour des mois… »

« Et intelligent… Et plein de questions dont tu ne connaîtras jamais la réponse… Tu m’as laissé à côté du lit, donc tu n’as pas renoncé! »

« Ben, c’est parce que je culpabilisais un peu, j’ai pas vraiment assumé de t’avoir arrêté… »

« Ou parce que tu savais que tu me reprendrais plus tard… »

« Peut-être… Mais tu es si difficile à transporter partout où je vais!»

« Tu sais que tu risques de rater quelque chose… »

« Bon allez. D’accord. »

Et j’ai repris. Lentement d’abord, puis de plus en plus vite, jusqu’aux 200 dernières pages en trois jours de congé.

Certains m’ayant vu me trimballer des semaines avec le pavé, m’ont demandé: « C’est bien? De quoi ça parle? C’est quel genre? »

« Bon, tu as une heure devant toi pour écouter la réponse? »

Lâchement, je leur ai proposé de lire par eux-mêmes la quatrième de couverture.

Bien bien. Je ne peux donc pas mentir: « Confiteor » n’est pas un livre facile. Il faut s’accrocher un peu (beaucoup). Il faut être au calme, au moins dans sa tête, pour y avoir vraiment accès.

Il n’a pas été non plus un coup de foudre.

Adrià écrit une longue lettre, une longue confession à la personne la plus importante de sa vie, qui n’est plus là et on ne sait pas pourquoi. Il lui arrive quelque chose qui va changer sa vie et qui le pousse à écrire, mais nous ne savons pas encore ce que c’est.

Adrià écrit à la première personne, mais en cours de phrase il change pour la troisième personne et s’appelle lui-même Adrià. Puis il revient à la première. Même chose pour le « tu », qui devient « elle » ou « il » ou un prénom. Il faut s’habituer.

Il raconte sa longue vie, donc, mais pas que. Des parallèles s’établissent, avec d’autres époques et d’autres personnages, la chronologie s’emmêle, un dialogue se passe en même temps à deux endroits et en deux temps différents, une personne qui parle est parfois deux personnes différentes, mais liées.

On perd la piste de l’un, on le retrouve deux ou deux cent pages plus tard, au détour d’un paysage, d’un tableau, d’une oeuvre musicale, d’une ouverture de guillemets.

Oui, oui: il faut s’accrocher, disais-je. C’est exigeant. Il faut l’apprivoiser et se laisser séduire.

Au bout d’un moment, la magie opère. Une vraie magie. On se laisse porter -comme Adrià qui écoute Bernat jouer au violon- on voit des contours se définir, des images apparaître, des intrigues se dénouer, comme dans les dessins au fusain de Sara.

On se prend à aimer les personnages si intenses, si humains, si faillibles.

Et à la fin, le puzzle est terminé. Avec des petites encoches encore tendues vers l’extérieur, car d’autres pièces pourraient s’y rajouter. Une fresque magnifique et déchirante est devant nous. Et là, on ne peut dire que: « Woooow! »

Quelle oeuvre… Indescriptible. Finalement un chef d’oeuvre c’est peut-être ça: une expérience que personne ne peut faire à la place d’un autre, ni l’expliquer pleinement.

Du quatorzième siècle (et peut-être bien avant) à la fin du vingtième, de l’Inquisition à aujourd’hui, en passant par l’Allemagne nazie, l’Espagne de Franco…

Ca parle d’un homme qui avoue, qui se confesse, même de crimes qui ne sont pas les siens, mais qu’il porte, comme ce violon mythique, le Storioni, qui hante son existence toute entière.

Ca parle du mal dans l’âme humaine, de la religion pervertie et du hasard illusoire, du pardon impossible et de la réparation sans fin, de l’amour qui voudrait sauver et qui détruit, de l’amitié qui est capable de grandeur et de l’envie qui peut tout gâcher. Des secrets qui se perdent et qui nous retrouvent. De la culpabilité et de la lâcheté, puis de la beauté, de la pensée et de l’art qui donnent du sens.

Et encore…

Comment pourrais-je le résumer?

J'en reste là, avec une invitation à savoir s’arrêter mais à savoir reprendre plus tard, aussi.

A écouter les petites voix des livres qu’on a laissé échoués sur une table de nuit ou dans un carton…

Confiteor! (J’avoue, je confesse!) J’ai failli rater un grand livre et un grand auteur. Chuuut...

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