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Un peu de... Chroniques en temps de Covid (4)



09 Janvier 2020 (Elle aurait eu 68 ans la veille...)


Semaine maussade. L'année avait vraiment bien commencé, jusque lundi matin.

Puis l'idée de cette "petite" rentrée s'est faite insupportable, mais il a fallu y aller, se mettre en route, enclencher les vitesses l'une après l'autre. Encore une fois, je me suis dit: quitte à être obligée de reprendre le rythme frénétique de travail d'avant les fêtes, autant aimer ce qu'on fait. C'est mon cas, ouf.

Un éclair de bonne humeur à l'idée de recommencer mes propres séances, puis la grisaille et la tristesse ont gagné du terrain.


Mardi, au boulot dans le centre, tout l'administratif qui est en méga-retard, il est temps de s'y coller. Lourdeur, mauvaise humeur. Le petit rituel de la galette des rois avec les collègues me fait sourire, voire rire, mais ça ne dure pas.

Je ne sais pas pourquoi tout me paraît si pénible. Mardi soir terrible, semé d'anxiétés diverses et variées, je n'identifie toujours pas bien la raison. Il y a des motifs évidents, des échanges lourds, des attentes, bien sûr, mais je ne devrais pas les vivre avec aussi peu de recul.


Rien à faire, mercredi matin, ça ne passe pas, c'est même le pire. J'ai quelques heures à la maison, plein de coups de téléphone à passer pour reprendre les fils, le coeur n'y est pas. Je me suis levée très tôt, mais je n'aurai tout de même pas le temps de traiter tous les dossiers en attente. Un verre de vin blanc ferait du bien, mais à 11h, avant huit heures de travail à suivre, c'est inenvisageable.


Conversation avec ma belle-soeur, pour nous arranger pour dimanche et là, c'est elle qui me dévoile ce que je savais fort bien, sans vouloir le savoir: hier aurait été le 68 anniversaire de ma maman.


Elle disait toujours que c'était aussi mon demi-anniversaire, parce qu'elle m'avait eu "à 25 ans et demi. Pile!"


Cette date a toujours été toute une histoire pour moi. Un temps je m'arrangeais pour être en Italie, près d'elle, ce jour là. Dans ma bouderie sans fin, j'estimais que ma présence était un cadeau suffisant, alors je ne lui achetais rien. Je l'accompagnais au resto, elle s'accordait une bière, exceptionnellement. Elle me faisait, souvent, elle, un cadeau pour mon demi-anniversaire. J'ai reçu de très belles choses, parfois excessives. Je m'exclamais: "Mais tu es folle, c'est trop!". Puis je me mordais la lèvre, parce que oui, le problème était bien celui-là, sa part de folie sans bords.

D'autres fois, si je n'étais pas avec elle, je ne l'appelais pas exprès, parce que j'étais fâchée pour une raison ou l'autre. Elle ne m'en voulait jamais. Puis elle ne m'appelait jamais le jour du mien, d'anniversaire, têtue et orgueilleuse qu'elle était.

Il y avait aussi les années où j'oubliais. Jusqu'à la veille, je savais, puis le jour même, pfiuut, ça sortait de mon esprit, et le lendemain, je me rattrapais, un peu coupable, un peu honteuse. Elle était quand même contente.

Et enfin, les années où je n'aurais manqué de lui souhaiter pour rien au monde, et même en rentrant tard et épuisée d'une interminable journée, je soupirais et attrapais le combiné... Ca ne durait parfois que quelques secondes, mais c'est là qu'il y avait le plus de chance d'entendre un de ses si rares "Je t'aime". Par distraction, parce qu'il fallait aller vite, parce qu'on était fatiguées et les défenses déjà endormies.


Là, tout à coup, cette année, je me rends compte que la question ne se pose pas et ça me creuse le ventre quand je raccroche avec ma belle-soeur, j'en suis surprise et étonnée.


Je pense à la bague, la bague que j'avais faite il y a quelques années avec des perles que maman et moi aimions beaucoup. Je l'avais faite pour moi, mais elle me l'a demandée. Elle me demandait peu de choses, alors j'ai dit oui. Elle m'a remerciée: "Je vais pouvoir la montrer à ma psy, elle va enfin croire que tu existes vraiment". J'ai eu le coeur serré.


A son décès, lorsque j'ai été dans son appartement, j'ai retrouvée la bague et je l'ai reprise. Je voulais la porter un an, mon petit signe de deuil symbolique à moi, invisible pour les autres.

J'ai fait une chute, il y a quelques semaines: un des fils de la bague s'est cassé dans le choc, je ne peux plus la mettre au risque de voir les perles partir une à une, inexorablement. Je me suis résignée, la bague est toujours avec moi, même si je ne la porte plus au doigt.


Je pense à tout ça et ça n'allège rien.

Je reprends le cours de ma journée, je pars bosser.

Je mets de côté, je fais mes consultations, je fais toute la vaisselle que je trouve au boulot, ça me vide la tête, puis je retravaille à mon privé, je finis à 21h30 et il y a juste une bonne nouvelle en rentrant qui m'apaise un peu, mais qu'un peu, parce qu'elle est assortie d'une mauvaise.

Je dors, pas longtemps, mais je dors.


Ce matin, rendez-vous important: une personne que je suis depuis des années vient à sa dernière séance. Je sens l'émotion me gagner au fil des 45 minutes et lorsque la personne quitte mon cabinet, je suis tellement à fleur de peau, que les larmes coulent, silencieuses, sans discontinuer.

On y pense pas souvent à la bizarrerie d'accompagner un sujet au plus près de lui-même, semaine après semaine, année après année, puis tout à coup, d'accepter que quand le patient part on ne saura peut-être plus jamais rien de lui.

Dix minutes, il faut que je m'arrête, la personne suivante sonne et il faut me rendre présente à ses mots.

Je pleurerai encore, plus tard, au besoin.


Ensuite, cette après-midi, ce rendez-vous médical absurde mais nécessaire: il faut bien pour prendre soin de ce fichu corps qui ne m'obéit pas comme je le voudrais.


Enfin, encore la psy, mes vannes de pleureuse expérimentée s'ouvrent, ça soulage, un peu, je sens mon épuisement.

Je ne m'apitoie pas sur moi -non, non, je vous jure, je me plains juste un peu-, parce qu'aussi étonnant que cela puisse paraître je me sens bien là, bien en vie, en route, en mouvement, et ça implique ces journées et ces semaines qui trifouillent un peu dans les tripes, c'est comme ça et c'est très bien.


Je vois déjà ce qui va apparaître d'ici quelques heures: ça va être le week-end, je vais pouvoir dormir et lire beaucoup parce que certains projets sont tombés à l'eau et c'est parfois mieux pour se recentrer un peu, se reposer, faire des trucs qui ne servent à rien.

Et dimanche, même s'il pleut, ce sera grand soleil à partir du matin, parce qu'il y a une belle journée prévue chez mon frère et ma belle-soeur et ça me réjouit d'avance de passer du temps avec eux. Ce ne sera que le début d'une semaine qui ne pourra être que meilleure.


Là, un verre de vin rouge, enfin, même si je ne le digère plus très bien, et voilà, cette année, on dirait que c'en est une où je m'y prends un jour en retard, mais c'est mieux que rien, on ne me changera pas: buon compleanno mamma."

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